L'égalité des conditions, Tocqueville - Extrait et questions

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Dans son œuvre De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville analyse la démocratie représentative aux États-Unis, fondée sur la liberté du peuple mais aussi sur "l'égalité des conditions". Dans cet extrait, il s'interroge sur les conséquences de l'égalité sociale sur le bonheur du peuple.


Extrait :

Quand toutes les prérogatives* de naissance et de fortune sont détruites, que toutes les professions sont ouvertes à tous, et qu’on peut parvenir de soi-même au sommet de chacune d’elles, une carrière immense et aisée semble s’ouvrir devant l’ambition des hommes, et ils se figurent volontiers qu’ils sont appelés à de grandes destinées. Mais c’est là une vue erronée que l’expérience corrige tous les jours. Cette même égalité qui permet à chaque citoyen de concevoir de vastes espérances, rend tous les citoyens individuellement faibles. Elle limite de tous côtés leurs forces, en même temps qu’elle permet à leurs désirs de s’étendre.
Non seulement ils sont impuissants par eux-mêmes, mais ils trouvent à chaque pas d’immenses obstacles qu’ils n’avaient point aperçus d’abord. Ils ont détruit les privilèges gênants de quelques-uns de leurs semblables ; ils rencontrent la concurrence de tous. La borne a changé de forme plutôt que de place. Lorsque les hommes sont à peu près semblables et suivent une même route, il est bien difficile qu’aucun d’entre eux marche vite et perce à travers la foule uniforme qui l’environne et le presse. […] On peut concevoir des hommes arrivés à un certain degré de liberté qui les satisfasse entièrement. Ils jouissent alors de leur indépendance sans inquiétude et sans ardeur. Mais les hommes ne fonderont jamais une égalité qui leur suffise.
Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas à rendre les conditions parfaitement égales dans son sein ; et s’il avait le malheur d’arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait encore l’inégalité des intelligences, qui […] échappera toujours aux lois. […] Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable* à mesure que l’égalité est plus grande.

Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique (1835), II, 2e partie "Influence de la démocratie sur les sentiments des Américains", chapitre XIII, Pagnerre, 1848.

* prérogative : avantage, honneur, droit attaché à certaines fonctions, titres ou états.
* insatiable : qui ne peut pas être rassasié, assouvi.


Questions : 

1. En vous appuyant sur les termes importants, montrez l'opposition, dans le premier paragraphe, entre les désirs engendrés par l'égalité et la réalité sociale. À partir de ce travail, expliquez le type de raisonnement utilisé par l'auteur.

2. Relevez les occurrences de l'analogie de la route et de la foule dans le deuxième paragraphe : quelle réalité sociale symbolise cette analogie ? Montrez le lien avec le concept d'égalité.

3. Une égalité parfaite serait-elle synonyme de bonheur du peuple pour l'auteur ? Justifiez en vous appuyant sur les expressions pertinentes du dernier paragraphe.


Théodore CHASSÉRIAU, Alexis de Tocqueville, 1849.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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